Poésie/Théâtre

Partage de Christian (Librairie Nouvelle)

Pour ouvrir cette nouvelle semaine de confinement, un extrait du dernier recueil de Sylvie Fabre G

L’oiseau avec sa romance

(chant)

7

Comment porter la vie, la faire advenir,

la supporter en la suspendant, toute propre,

frémissante et humide sur les fils de la mémoire ?

Je voudrais laver le linge du temps à mains nues

dans le bassin du jardin avant de les rendre à la brise.

(Je me souviens)

La jeune lavandière du passé qui combattait l’angoisse

en frottant inlassablement le noir

était la même qui en délivrait les dessous de lumière

ravivant les heures et la langue

qu’aujourd’hui je mets au secret dans le poème

avant que ses fleurs à jamais ne se ferment.

Dans les profondeurs de sa mort, de ma vie

tout existe, faire sécher et plier les vêtements

les draps, les serviettes ou les suspendre

comme on suspend les mots sur la corde des vers

mère soustraite, mère finie

le geste ressemble à un ajout infini.

Je continue avec et sans elle à étendre les mots

sous le préau de la maison de famille disparue

où sa tête bouleversée a erré jusqu’à la fin.

Entre les hirondelles du toit et les neiges de l’encre

claquent robes claires et pantalons courts

pages de livres carnets et missel.

Hissée à la pointe du souvenir

je tends les bras vers la nue immense

pour sentir la fraîcheur d’un linge éternel.

Nous le défroissons en tirant encore chacune d’un côté,

manière de se glisser entre linge et poème

au gré passé de nos rires et de mes pleurs.

L’odorante moisson au plein vent du temps

me rend la force de vivre et de mourir.

En sa jeune énergie en sa vieille fatigue

la mère n’a jamais failli, elle a ramassé rangé

pour moi les mots du jadis. Je les repasse

au fer brûlant de l’amour et de la disparition.

(Je me souviens)

Sa parole sonne et résonne, absolu fragile

pur-sang des phrases que nous nous lancions

par-dessus le fil tendu de cerisier à pommier et

qui dessinaient avec le linge une ligne d’horizon

qu’accompagnait la ronde mouvante de hirondelles

de l’aube jusqu’au crépuscule.

Elles nous apprenaient dans la grâce de la verticale

la séparation des êtres, l’enfance et

la vieillesse évanouies en un cache-cache.

La présence de la bien aimée sa trace laissée

sur la terre, saurai-je en conserver l’inspiration

pour le doux chant pour l’improbable résurrection ?

Sylvie Fabre G., Pays perdu d’avance, Ed.l’herbe qui tremble

Bien à vous et à demain.

Géraldine Hérédia

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