Pour ouvrir cette nouvelle semaine de confinement, un extrait du dernier recueil de Sylvie Fabre G
L’oiseau avec sa romance
(chant)
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Comment porter la vie, la faire advenir,
la supporter en la suspendant, toute propre,
frémissante et humide sur les fils de la mémoire ?
Je voudrais laver le linge du temps à mains nues
dans le bassin du jardin avant de les rendre à la brise.
(Je me souviens)
La jeune lavandière du passé qui combattait l’angoisse
en frottant inlassablement le noir
était la même qui en délivrait les dessous de lumière
ravivant les heures et la langue
qu’aujourd’hui je mets au secret dans le poème
avant que ses fleurs à jamais ne se ferment.
Dans les profondeurs de sa mort, de ma vie
tout existe, faire sécher et plier les vêtements
les draps, les serviettes ou les suspendre
comme on suspend les mots sur la corde des vers
mère soustraite, mère finie
le geste ressemble à un ajout infini.
Je continue avec et sans elle à étendre les mots
sous le préau de la maison de famille disparue
où sa tête bouleversée a erré jusqu’à la fin.
Entre les hirondelles du toit et les neiges de l’encre
claquent robes claires et pantalons courts
pages de livres carnets et missel.
Hissée à la pointe du souvenir
je tends les bras vers la nue immense
pour sentir la fraîcheur d’un linge éternel.
Nous le défroissons en tirant encore chacune d’un côté,
manière de se glisser entre linge et poème
au gré passé de nos rires et de mes pleurs.
L’odorante moisson au plein vent du temps
me rend la force de vivre et de mourir.
En sa jeune énergie en sa vieille fatigue
la mère n’a jamais failli, elle a ramassé rangé
pour moi les mots du jadis. Je les repasse
au fer brûlant de l’amour et de la disparition.
(Je me souviens)
Sa parole sonne et résonne, absolu fragile
pur-sang des phrases que nous nous lancions
par-dessus le fil tendu de cerisier à pommier et
qui dessinaient avec le linge une ligne d’horizon
qu’accompagnait la ronde mouvante de hirondelles
de l’aube jusqu’au crépuscule.
Elles nous apprenaient dans la grâce de la verticale
la séparation des êtres, l’enfance et
la vieillesse évanouies en un cache-cache.
La présence de la bien aimée sa trace laissée
sur la terre, saurai-je en conserver l’inspiration
pour le doux chant pour l’improbable résurrection ?
Sylvie Fabre G., Pays perdu d’avance, Ed.l’herbe qui tremble
Bien à vous et à demain.
Géraldine Hérédia