Géraldine partage avec vous….
Le Rouge-gorge
Les soirs d’hiver, qui s’enflamment presque tendrement,
comme une joue, tandis que dans les hauteurs, le ciel atteint la
plus vive transparence : tout près de n’être plus rien, puisque
à travers lui on ne voit pas autre chose ; et pourtant…
Je repense au vers de Nerval qui rapproche la sainte et la fée :
verrai-je ici, dans mon jardin, la transfiguration de la fée encore
rose, encore incarnate, en sa propre âme toute pure et sans plus de
poids ? Ce serait trop beau, trop conforme à mes rêves. Je crois qu’il
y a là plutôt quelque chose comme une eau très pure.
Travaillant au jardin, je vois soudain, à deux pas, un rouge-gorge ;
on dirait qu’il veut vous parler, au moins vous tenir compagnie :
minuscule piéton, victime toute désignée des chats.
Comment montrer la couleur de sa gorge ? Couleur moins proche du
rose, ou du pourpre, ou du rouge sang, que du rouge brique ; si ce mot
n’évoquait une idée de mur, de pierre même, un bruit de pierre cassante,
qu’il faut oublier au profit de ce qu’il évoquerait aussi de feu apprivoisé,
de reflet du feu ; couleur que l’on dirait comme amicale, sans plus rien de
ce que le rouge peut avoir de brûlant, de cruel, de guerrier ou de triomphant.
L’oiseau porte dans son plumage, qui est couleur de la terre sur laquelle il
aime tant marcher, cette sorte de foulard couleur de feu apprivoisé, couleur
de ciel au couchant. Ce n’est presque rien, comme cet oiseau n’est presque rien,
et cet instant, et ces tâches, et ces paroles. A peine une braise qui sautillerait,
ou un petit porte-drapeau, messager sans vrai message : l’étrangeté
insondable des couleurs. Cela ne pèserait presque rien, même dans une main
d’enfant.
Cependant vous parvient aux oreilles, par intermittence, le bruit discret, comme
prudent, des dernières feuilles du figuier ; celui, plus ample mais plus lointain,
des hauts platanes d’un parc ; c’est la rumeur du vent invisible, le bruit de l’invisible.
A l’abri duquel le rouge-gorge et moi vaquons à nos besognes. Lui, le porte-lanterne,
l’imprudent, si rôde un chat.
Philippe Jaccottet, Et néanmoins, Ed. Gallimard