Pour traverser la nouvelle semaine qui arrive avec le même rapport au monde que Pessoa ;
L’effarante réalité des choses
est ma découverte de tous les jours.
Chaque chose est ce qu’elle est,
et il est difficile d’expliquer combien cela me réjouit
et combien cela me suffit.
Il suffit d’exister pour être complet.
J’ai écrit bon nombre de poèmes.
J’en écrirai bien plus naturellement.
Cela chacun de mes poèmes le dit,
et tous mes poèmes sont différents,
parce que chaque chose au monde est une manière de le
proclamer.
Parfois je me mets à regarder une pierre.
Je ne me mets pas à penser si elle sent.
Je ne me perds pas à l’appeler ma sœur
mais je l’aime parce qu’elle est une pierre,
je l’aime parce qu’elle n’éprouve rien,
je l’aime parce qu’elle n’a aucune parenté avec moi.
D’autres fois j’entends passer le vent,
et je trouve que rien que pour entendre passer le vent,
il vaut la peine d’être né.
Je ne sais ce que penseront les autres en lisant ceci ;
mais je trouve que ce doit être bien puisque je le pense
sans effort,
et sans concevoir qu’il y ait des étrangers pour m’entendre
penser :
parce que je le pense hors de toute pensée,
parce que je le dis comme le disent mes paroles.
Une fois on m’a appelé poète matérialiste
et je m’en émerveillais, parce que je n’imaginais pas
qu’on pût me donner un nom quelconque
Je ne suis même pas poète : je vois.
Si ce que j’écris a une valeur, ce n’est pas moi qui l’ai :
la valeur se trouve là, dans mes vers.
Tout cela est absolument indépendant de ma volonté.
Fernando Pessoa, Le Gardeur de troupeaux, Ed. Poésie Gallimard