Prendre de la distance avec cette sirène hypnotisante qu’est l’actualité n’est pas chose facile. Interpeller ce réel qui échappe, c’est un luxe que chacun devrait pouvoir se permettre. C’est ce que Hélène Péquignat propose dans son essai, « Du piquant dans les sardines et autres nouvelles philosophiques ».
Ici pas de discours magistraux, mais de courtes histoires narrées à la manière des contes, suivies de quelques réflexions qui prolongent les questions philosophiques précédemment abordées dans la fiction. Inspirées par la vie même des philosophes, les petites intrigues souvent dotées d’humour enseignent non seulement la pensée philosophique mais aussi l’expérience de celui qui l’a mise en mots. Les concepts les plus abstraits s’en trouvent incarnés et vulgarisés avec intelligence et pédagogie. Le lecteur se voit guider dans les méandres d’une science profondément humaine, née dans l’Antiquité et qui, depuis, n’a jamais cessé de créer et d’inventer. Les titres sont de ce point de vue éloquents, du « Cri de la carotte ou les plantes ont-elles une conscience ? » au « Communisme est-il soluble dans le capital », en passant par « La vie oscille-t-elle, comme un pendule, de l’absurde au non-sens ? ».
Didactique, l’essai avance graduellement dans les pensées des classiques Socrate, Platon, Aristote, Diogène, Descartes, Kant, Rousseau, Schopenhauer, et des contemporains, tels Pierre Cassou-Nogues, Matthew Crawford, Nicolas Grimaldi, Michel Henry etc. Les dernières pages renvoient à la métaphysique, et aussi, au rapport de l’être avec la nature. Une réflexion sur le monde comme il pourrait tourner si nous prenions le temps du doute et de l’écoute.
Bien qu’elle ait traversé les siècles sans avoir pris une ride, la philosophie est aujourd’hui menacée par l’espace de plus en plus restreint qui lui est réservé. En France la réforme du ministère de l’éducation nationale envisage de réduire son temps d’enseignement en dernière année de lycée à quatre heures contre huit heures pour les sections littéraires. Est-il bon de laisser la représentation du monde aux seuls discours politiques et commerciaux ? Masquer la réalité n’a jamais aidé à s’émanciper. L’essai de Hélène Péquignat le rappelle et, citant Épictète, il témoigne d’une vertu démocratique : « Tu es citoyen du monde et partie de ce monde, […]. Or de quoi fait profession le citoyen ? De n’avoir aucun intérêt personnel, de ne jamais délibérer comme s’il était isolé, mais d’agir comme le feraient la main ou le pied s’ils pouvaient raisonner et comprendre l’ordre de la nature : ils n’auraient jamais ni aspiration ni désir, sans le rapporter au tout. »
La conclusion renvoie au cynique et subversif Diogène. Pour la connaître, il faudra lire, c’est-à-dire orienter son attention vers ces chemins hasardeux que les philosophes empruntent avec vigilance. Parce que la philosophie est aussi pacifique que mordante, favorisant le débat, ébranlant les certitudes.
Article : Fabien Franco
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