Café sans sucre
Il y a des pages sans écriture qui vous
traversent au bout de la nuit celles
qu’un éditeur n’attend pas et qui sont
le chemin vers un livre imaginaire que
vous regardez s’éloigner à mesure que
le temps passe vous préférez penser
qu’il est à jamais dans la mémoire
morte de l’ordinateur.
J’aime boire le café avec un nuage de
crème faux j’aime le café sans rien
sans sucre je n’aime que le nuage
brumeux de l’aube que je surprends
avant le sommeil il se glisse et comble
silencieusement les creux des collines
j’aime ce filet de crème sur lequel je
traverse du sein au téton.
Une deux je compte les gouttes qui
tombent du ciel sur le bout de plastic
insolent qui traîne sur le balcon trois
quatre toutes les pensées sont bonnes à
chasser quand rien ne vient ni désir ni
sommeil je cherche une cigarette du
coin de l’œil et je ne fume même pas.
Rue Didouche Mourad minuit trente
cinq les deux hommes avancent ils
disent on va marcher jusqu’au bout
jusqu’à devenir petits jusqu’au vingt
troisième siècle je dis les poètes sont des
fous et heureusement que ces deux là
existent nous irons disent-ils à dos de
chameau jusque dans le désert en
attendant je dois traduire donner corps
à des virages qui me sont empruntés.
Les chats n’ont pas besoin qu’on leur
parle dans le creux de l’oreille ils ne
tournent pas autour des gamelles ils se
posent patients puis excédés sur le
bureau en désordre ils s’enroulent
avec adresse sur leur centre de gravité
à parfaite distance du radiateur tu n’as
pas levé le pied qu’ils savent déjà si tu
t’agites ou si tu sors.
Je dis pour écrire les choses les plus
banales il faut d’abord écrire sa
naissance de la mère du père de
l’amour du corps des femmes des
hommes du violeur et des assassins de
l’inceste et du doute de la nuit et de la
faim du désert des livres de la jalousie
du soupçon du sexe des ruines de la
mer des arbres de l’archéologie des
dieux grecs et païens et des étoiles je
dis tout cela est presque banal avant et
après écrire.
Il faut multiplier le mot montagne par
souffles coupés et avides retenir ce qui
peut ressembler à un étourdissement
oxygénique comme une frontière
vérifiable entre deuil et résurrection.
Glisser entre les feuilles mortes d’un
hiver tardif et se laisser rouler genoux
désarticulés et muscles rouillés sourds
à tout mouvement l’animal minéral
s’escalade et de dégringole avec une
certaine sensation d’exister pour
embrasser l’horizon.
Parfois je pense qu’il faut larguer les
amarres vite prendre le premier bateau
le premier avion le premier n’importe
quoi juste partir les bras ballants le
cœur solitaire avec le sentiment que le
monde est immense je traverse le
boulevard du port j’entends le bateau
aboyer me tenter me distraire je
manque d’écraser un passant et je me
dis qu’Alger est une sacrée putain.
Samira Négrouche, Le jazz des oliviers, Ed. Tu Tell
Bien à vous, à demain!
Géraldine