Le regard bleu
Nous connaissons par ouï dire l’existence de l’amour.
Assis sur un rocher ou sous un parasol rouge, allongés
dans le pré bourdonnant d’insectes, les deux mains sous
la nuque, agenouillés dans la fraîcheur et l’obscurité d’une
église, ou tassés sur une chaise de paille entre les quatre
murs de la chambre, la tête basse, les yeux fixés sur un
rectangle de papier blanc, nous rêvons à des estuaires, des
tumultes, des ressacs, des embellies et des marées. Nous
écoutons monter en nous le chant inépuisable de la mer
qui dans nos têtes afflue puis se retire, comme revient
puis s’éloigne le curieux désir que nous avons du ciel, de
l’amour et de tout ce que nous ne pourrons jamais toucher
des mains.
la mer en nous essaie des phrases
Depuis des lustres, la même voix épelle le même alphabet
dans le même cerveau d’enfant. Elle balbutie des mots
vite envolés, accrochés aux herbes des plages, à la peau
brunie des baigneurs, à la proue des barques, aux mâtures.
Des mots quelconques, pour rien et pour quiconque.
Il n’y est question que de l’amour. C’est pourquoi
nous ne savons trop que dire et souffrons que le regard
d’autrui s’attarde sur notre visage quand nous voudrions
qu’il se pose à même notre cœur. Nos lèvres sont si
maladroites, notre corps invisible dans la nuit opaque,
et nos mains malhabiles, des éclairs et des ailes pourtant
au bout des doigts.
Jean-Michel Maulpoix, Une histoire du bleu, Ed. Mercure de France
Bien à vous toutes et tous.
Géraldine Hérédia